Bitcoin peut-il devenir la banque des pauvres ?

Cyril Fiévet, ingénieur, journaliste et auteur, s’est intéressé à cette question sur son blog comprendrebitcoin.com :

La moitié des adultes vivant sur cette planète n’ont pas de compte en banque. Cela représente 2,5 milliards de personnes qui, aujourd’hui, n’ont pas d’autre moyen de paiement que l’argent liquide.

Une large proportion de ces personnes habite dans des pays pauvres, notamment en Afrique et en Asie, mais aussi dans des pays très développés (on estime par exemple que 12% des Américains n’ont pas de compte en banque).

Bitcoin est, là aussi, une solution toute trouvée et va jouer un rôle majeur pour fournir aux « non bancarisés » des outils largement plus souples et plus sécurisés que ne le sont pièces et billets traditionnels.

Prétendre que Bitcoin, une technologie numérique sophistiquée, est une voie d’avenir pour des pays en voie de développement peut paraître audacieux, voire utopique et irréaliste. Pourtant, cette opinion fait sens dès qu’on considère un simple fait : il y a beaucoup plus de téléphones mobiles en service que de personnes disposant d’un compte en banque.

Partant de là, sachant combien il est facile de créer un porte-monnaie Bitcoin raisonnablement sécurisé avec un simple téléphone, et combien il est souvent difficile (voire impossible) d’ouvrir un compte en banque, il est facile de prédire une évolution naturelle : les mobiles vont s’imposer comme une solution privilégiée, naturelle et immédiate, pour gérer de l’argent sans banque mais via Bitcoin.

Cette opinion est partagée par beaucoup d’entrepreneurs de l’univers Bitcoin. « Je crois sincèrement que Bitcoin est le meilleur espoir, pour les milliards d’individus qui n’ont pas de comptes bancaires, de participer à l’économie globale », estime par exemple Wences Casares, serial entrepreneur argentin, aujourd’hui millionnaire mais d’origine très modeste, co-fondateur de Xapo, un porte-monnaie Bitcoin ultra-sécurisé.

« Les services financiers actuels de base sont plus chers et plus exclusifs qu’ils ne devraient l’être. Si nous pouvons faire évoluer la finance numérique pour parvenir à un service léger et quasiment gratuit, nous pourrons l’offrir à tout le monde, y compris aux gens qui en sont aujourd’hui exclus », résume Lui Smyth, PDG de Coinjar, un porte-monnaie Bitcoin en ligne opéré depuis l’Angleterre. Il souligne d’ailleurs, avec justesse, la nature par essence démocratique et égalitaire de Bitcoin : « La création d’un porte-monnaie Bitcoin est gratuite et instantanée, largement départie de restrictions, et offre un service aussi efficace aux riches qu’aux pauvres ».

« De nombreux pays (Argentine, Zimbabwe, Russie…) seraient bien plus riches et se porteraient bien mieux s’ils avaient disposé de Bitcoin ou d’autres monnaies électroniques depuis quelques générations, plutôt que de d’utiliser des monnaies papier », avance même Dan Morehead, PDG de Pantera, une société de capital-risque spécialisée dans les projets Bitcoin.

Dans une conférence passionnante donnée en début de mois à Miami (texte intégral ici), Morehead explique comment « Bitcoin aura un impact considérable et positif pour les pays en voie de développement », et comment nous allons rapidement entrer dans l’ère de « l’argent sur mobiles ». Il cite notamment l’exemple du Kenya, un pays où l’utilisation du mobile pour traiter les flux financiers est déjà avérée. « Les monnaies numériques ou l’argent sur mobile ne sont plus des idées futuristes ou science-fictionesques, uniquement évoquées dans la Silicon Valley. C’est la réalité bien réelle au Kenya. Le Kenya est le leader mondial en matière d’argent sur mobile. Plus des trois quarts de la population adulte utilise un téléphone mobile pour le commerce et l’essentiel du PNB du pays est constitué d’argent sur mobile », décrit-il.

Cette réalité se concrétise déjà par des services offrant une forme de bancarisation, sans banques. Aux Philippines, Coins.ph permet à des employés ne disposant pas de comptes en banques de recevoir leurs salaires via Bitcoin, et l’entreprise a d’ailleurs conclu récemment un partenariat avec l’opérateur américain BitWage pour payer par ce biais les salaires des travailleurs expatriés.

Des pays dans lesquels s’est développée une forte culture du mobile vont donc facilement adopter Bitcoin, et cela peut aller très vite. Il y a quelques jours, la solution de messagerie Telegram, fière d’une communauté de 50 millions d’utilisateurs, à lancé Telebit, un service permettant très facilement de s’envoyer de petites sommes en Bitcoin entre usagers. Des porte-monnaies Bitcoin sont créés pour chaque utilisateur, à la volée, après l’envoi d’un simple message au service. Du jour au lendemain, plusieurs dizaines de millions de personnes, sans même connaître Bitcoin ou avoir à installer une quelconque nouvelle application leur mobile, sont ainsi devenus des utilisateurs potentiels de Bitcoin.

Le mouvement est donc engagé, et la progression de Bitcoin dans les pays dits « pauvres » va probablement suivre une croissance vertigineuse. Je suis même prêt à parier que, paradoxalement, l’acceptation et la généralisation de Bitcoin va se faire à un rythme beaucoup plus soutenu dans les pays peu développés que dans nos pays « riches », caractérisés par une forte culture bancaire (et les puissants monopoles qui vont avec).


 

A propos de l’auteur

Cyril Fiévet, ingénieur, journaliste et auteur, couvre depuis une vingtaine d’années les technologies innovantes, les tendances émergentes et leur impact sur la société.

Après avoir annoncé l’avènement d’internet dès 1995, puis publié le « Que sais-je ? » sur les robots et le tout premier livre en français expliquant le phénomène des blogs (récompensé par le « Trophée de l’économie numérique » en 2004), il a publié en 2013 « Body Hacking », décrivant la fusion attendue de l’humain et de la machine.

« Comprendre Bitcoin et les crypto-monnaies alternatives » est son septième livre et son premier ebook.

Actuellement responsable des pages actualités du magazine mensuel de vulgarisation scientifique « Comment ça marche ? » et de la rubrique sur l’avenir des technologies dans la revue « We Demain », il est également membre de l’agence de presse suisse ATCNA et contribue régulièrement à plusieurs magazines print et Web.

Il a également lancé début 2015 le site d’information Crypto.direct, en anglais, fournissant des actualités quotidiennes sur l’usage de Bitcoin et des crypto-monnaies ainsi que le blog en français comprendrebitcoin.com.