« Sur Bitcoin, à l’inverse du système bancaire traditionnel, chacun peut créer une adresse sans demander l’avis ou l’autorisation de qui que ce soit. Cela conduit à une vérité assez simple : une personne peut posséder de multiples adresses sans qu’on ne le sache. En miroir, on peut également créer des adresses gérées par plusieurs personnes : soit « on-chain », les portefeuilles multi-signatures par exemple, soit « off-chain », en introduisant des règles de gestion de trésorerie sur une adresse, en divisant les mots de passe, etc. De la même façon que si seul le directeur financier est responsable de la trésorerie d’une entreprise, ce dernier peut faire des délégations de signature, et peut être contrôlé par divers mécanismes de gouvernance, une adresse Bitcoin peut être gérée par une seule personne, de multiples personnes, en compte propre, ou pour compte de tiers.
Par conséquent, l’assertion « 2% des adresses Bitcoin possèdent 95% des bitcoins » ne peut conduire à aucune conclusion. Une personne peut bien posséder des centaines de millions de dollars en bitcoins, et les répartir sur des milliers d’adresses, et inversement, une adresse peut détenir des dizaines de milliers de bitcoins, mais représenter en réalité des millions de détenteurs particuliers. Et cela ne vaut pas que pour les plateformes d’échange comme Coinbase (quelques adresses mais plus de 70 millions de clients) : trois exemples l’illustrent bien.
D’abord, Grayscale : ce fonds d’investissement possède à lui seul 30 milliards de dollars en bitcoins. Cependant, son actionnariat est lui-même composé d’autres fonds, eux-mêmes achetables sur le marché ouvert, et donc par des particuliers.
De la même façon, MicroStrategy, possède pour entre 6 et 7 milliards de dollars de bitcoins. Lorsque l’on regarde l’actionnariat, on retrouve… le fonds souverain norvégien ! Ainsi, les détenteurs réels de ces bitcoins sont, en partie, tous les Norvégiens !
Et enfin, le jeton WBTC, une représentation de Bitcoin sur Ethereum, exige l’immobilisation de près de 250 000 bitcoins (soit environ 11 milliards de dollars) sur quelques adresses, elles-mêmes gérées par seulement quelques entités off-chain. Mais ces bitcoins sont en réalité bloqués en séquestre pour permettre de garantir un ratio 1:1 en échange du jeton WBTC, qui circule lui sur Ethereum. Jeton dont la distribution est ventilée sur… près de 43 000 adresses différentes !
Bref, même en dehors des plateformes d’échange, il existe de très nombreuses entités qui font de la détention de bitcoins pour compte de tiers, et qui sont comptés dans cette « concentration » de bitcoins.
Puis-je suggérer une façon assez simple de « déconcentrer » Bitcoin, si tant est que ce fut un problème ? En acheter soi-même. En faire acheter et détenir par la Banque de France. En faire miner par EDF, qui rentabiliserait ses installations électriques par la même occasion (cf. section suivante).
Ce n’est de toute façon pas le rôle de la monnaie que de « bien » se distribuer elle-même. Pour cela, il y a le travail, le capital, l’investissement, l’économie en général, ou l’Etat, pour assurer une redistribution plus équitable des richesses, selon des lois votées par des représentants du peuple. Que ce soit en euros, en dollars, ou en bitcoins. De la même façon qu’on ne peut pas accuser l’euro tout seul d’être mal réparti, on ne peut pas accuser Bitcoin de ce défaut. En 2018, 26 personnes possédaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 4 milliards de personnes. La faute à Bitcoin ?
Le problème n’est pas lié à l’unité de compte qui sert à mesurer la richesse, mais dans la répartition de celle-ci. »
Extrait d’une tribune d’Alexandre Stachtchenko publiée de 5 décembre 2021 dans la newsletter 21 Millions.