Article de Pierre AVENAS publié dans la revue La Jaune et la Rouge (numéro 792 de février 2024).
Le système de paiement électronique Bitcoin a été créé aux États-Unis en 2009, à la suite d’une publication signée Satoshi Nakamoto, pseudonyme d’une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pas été révélée. Le bitcoin, l’unité monétaire du système, est une cryptomonnaie, ce que signifie bitcoin, formé de bit, l’unité informatique, 0 ou 1, et de l’anglais coin « pièce de monnaie ».
Le mot bit, tiré du latin…
Deux mathématiciens américains travaillant aux Laboratoires Bell (New Jersey) dans les années 1940 sont à l’origine du terme bit : John Tukey, PhD de Princeton où il enseignait, et Claude Shannon, PhD du MIT où il sera chercheur. C’est dans un article de 1948 que Shannon écrivait : « If the base 2 is used the resulting units may be called binary digits, or more briefly bits, a word suggested by J. W. Tukey. » Celui-ci avait eu l’idée en effet d’abréger le terme binary digit en bigit, ou binit… ou plutôt bit.
Incidemment, Tukey, compétent aussi en chimie, a été dans les années 1970 lanceur d’alerte sur la question du trou dans la couche d’ozone.
L’emploi du terme bit s’est donc généralisé à la suite de l’article de Shannon. En anglais, il est homonyme de bit « petit morceau » (de to bite « mordre »), le bit étant justement un petit bout d’information, un rapprochement anecdotique qui cependant ne fonctionne qu’en anglais !
Plus sérieusement, bit cache l’origine latine de binary digit. D’une part, en effet, du latin digitus « doigt » viennent doigt en français et digit « chiffre » en anglais et, d’autre part, binary « binaire » vient du latin binarius, dérivé de bis « deux fois », dont la forme archaïque était duis, de duo « deux ». Ce surprenant changement d’initiale de d à b s’explique en considérant la racine indo-indoeuropéenne *dwo– « deux », visible en sanscrit dviḩ « deux fois », ou en anglais two. Tantôt l’évolution phonétique accentue le d en effaçant le w, tantôt elle efface le d en accentuant le w, qui évolue en b. De là vient en latin la coexistence de duo, duplex et bis, binarius.
… et le mot coin, venu aussi du latin
Le latin cuneus est d’abord le nom d’outils de forme biseautée, de section triangulaire, tels qu’une lame métallique pour fendre le bois ou une cale de même forme pour serrer un joint. En bas latin, cuneus désigne aussi le poinçon conique, donc de profil triangulaire, servant à frapper la monnaie dont il porte l’empreinte. Ces significations concrètes de cuneus se retrouvent en français, où coin désigne ces outils anciens et s’emploie plutôt au sens figuré de nos jours : enfoncer un coin entre deux personnes, ou avoir une idée frappée au coin du bon sens ! En anglais en revanche, cuneus au sens concret aboutit par l’ancien français à des mots usuels : coin « pièce de monnaie », to coin « frapper monnaie », employé aussi au figuré : to coin a word « forger un mot ».
Cependant le latin cuneus servait également à désigner toute structure de forme triangulaire, d’un corps d’armée ou d’un secteur de gradins par exemple. De là vient en français coin au sens d’un angle, puis d’un lieu restreint tel que le coin du feu, alors que l’anglais corner « coin » vient de l’ancien français cornier « en coin » car en forme de corne (latin cornu). D’où le faux ami coin : on distingue en anglais corner « coin » et coin « monnaie ».
Épilogue
L’anglais bitcoin est entré tel quel au Petit Larousse 2016 en même temps qu’au Petit Robert 2016. Ce mot est emprunté par la plupart des langues du monde, ou presque en chinois 比特币, prononcé bǐtèbì, avec 币, bi, « monnaie ».