« Une des fonctions de la monnaie est de résoudre le problème de la double coïncidence des besoins. Dans un système établi sur le troc, la réalisation d’un échange nécessite non seulement de trouver un individu cédant un bien correspondant à mon besoin, mais aussi de lui procurer un bien de valeur équivalente qui satisfait son propre besoin. Trouver cet équilibre s’avère complexe. C’est pourquoi nous recourons à la monnaie qui permet de déplacer la valeur à la fois dans l’espace et dans le temps.
Pour que la monnaie résolve ce problème, il est essentiel que la partie qui fournit un bien ou un service soit convaincue de sa capacité à dépenser cette somme ultérieurement. Ainsi, tout individu rationnel souhaitant accepter une pièce de monnaie, qu’elle soit numérique ou physique, s’assurera qu’elle remplit deux critères fondamentaux :
- La pièce doit être intègre et authentique ;
- et elle ne doit pas être double dépensée.
Si l’on utilise une monnaie physique, c’est la première caractéristique qui est la plus complexe à faire valoir. À différentes périodes de l’histoire, l’intégrité des pièces de métaux a souvent été affectée par des pratiques comme le rognage ou le perçage. Par exemple, durant la Rome antique, il était courant que les citoyens grattent les bords des pièces d’or pour en recueillir un peu de métal précieux, tout en les conservant pour des transactions futures. C’est notamment pour cette raison que l’on a plus tard frappé des cannelures sur la tranche des pièces. L’authenticité est également une caractéristique difficile à vérifier sur un support monétaire physique. De nos jours, les techniques pour lutter contre le faux monnayage sont de plus en plus complexes, obligeant les commerçants à investir dans des systèmes de vérification coûteux.
En revanche, en raison de leur nature, la double dépense n’est pas un problème pour les monnaies physiques. Si je vous cède un billet de 10 €, il quitte irrévocablement ma possession pour entrer dans la vôtre, excluant par là même toute possibilité de dépense multiple des unités monétaires qu’il incarne.
Pour la monnaie numérique, la difficulté est différente. S’assurer de l’authenticité et de l’intégrité d’une pièce est souvent plus simple, mais s’assurer de l’absence de double dépense est plus complexe. Tout bien numérique est en essence de l’information. Contrairement aux biens physiques, l’information ne se divise pas lors des échanges, mais se propage en se multipliant. Par exemple, si je vous transmets un document par courrier électronique, ce dernier se retrouve alors dupliqué. De votre côté, vous ne pouvez pas vérifier avec certitude que j’ai effacé le document original.
Le seul moyen d’éviter cette duplication d’un bien numérique est d’être au courant de l’intégralité des échanges sur le système. De cette manière, on peut savoir qui possède quoi et actualiser les comptes de chacun en fonction des transactions effectuées. C’est ce qui se fait, par exemple, pour la monnaie scripturale. Lorsque l’on paie 10 € à un commerçant par carte bancaire, la banque constate cet échange et actualise le livre des comptes.
Sur Bitcoin, la prévention de la double dépense se fait de la même manière. On va chercher à confirmer l’absence d’une transaction ayant déjà dépensé les pièces en question. Si ces dernières n’ont jamais été utilisées, alors nous pouvons être assurés qu’aucune double dépense n’aura lieu. C’est la fameuse phrase de Satoshi Nakamoto dans le White Paper (livre blanc) :
Le seul moyen pour confirmer l’absence d’une transaction est d’être au courant de toutes les transactions.
Contrairement au modèle bancaire, on ne souhaite pas avoir à faire confiance à une entité centrale sur Bitcoin. Il faut alors que tous les utilisateurs soient en capacité de confirmer cette absence de double dépense, sans pour autant reposer sur un tiers. Ainsi, il faut que chacun soit au courant de toutes les transactions Bitcoin.
C’est précisément cette diffusion publique de l’information qui complique la protection de la vie privée sur Bitcoin. Dans le système bancaire traditionnel, en théorie, seule l’institution financière a connaissance des transactions effectuées. En revanche, sur Bitcoin, l’ensemble des utilisateurs est informé de toutes les transactions, via leurs nœuds respectifs.
À cause de cette contrainte de diffusion, le modèle de confidentialité de Bitcoin diffère de celui du système bancaire. Dans ce dernier, les transactions sont associées à l’identité de l’utilisateur, mais le flux d’information est coupé entre le tiers de confiance et le public. Autrement dit, votre banquier sait que vous achetez votre baguette tous les matins au boulanger du coin, mais votre voisin n’a pas connaissance de toutes ces transactions. Dans le cas de Bitcoin, puisque le flux d’information ne peut pas être cassé entre les transactions et le domaine public, le modèle de confidentialité repose sur la séparation entre l’identité de l’utilisateur et les transactions en elles-mêmes.
Puisque les transactions Bitcoin sont rendues publiques, il devient possible d’établir des liens entre elles pour en déduire des renseignements sur les parties impliquées. Cette activité constitue même une spécialité en soi, communément appelée analyse de chaîne. Dans cet article, je vous invite à explorer les fondamentaux de l’analyse de chaîne afin de comprendre comment vos bitcoins sont tracés. »
Article de Loïc Morel à lire sur pandul.fr