La mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, présidée par Eric Woerth et rapportée par Pierre Person, a publié hier son rapport d’information sur les « crypto-actifs ». Objectifs : Proposer une clé de lecture – pour le législateur – sur cette technologie naissante, mais aussi d’être “utile” et force de recommandations dans l’optique de faire évoluer la législation française ».
La première chose qui surprendra (ou pas) à la lecture du préambule de ce document de 148 pages c’est le divorce manifeste entre la vision de Pierre Person et celle d’Eric Woerth qui rejette d’emblée la dimension monétaire des « crypto-actifs » et exprime de larges réserves [1] sur certaines propositions du rapporteur.
Le rapport s’interroge ensuite de façon très approfondie sur « le nouveau paradigme sociétal, technologique, économique et monétaire » que ces nouvelles technologies induisent, puis enchaine sur les problématiques technologique, juridique, fiscale et réglementaire qui entravent leur développement.
Enfin, le rapporteur formule 27 propositions pour permettre « un développement durable, encadré et ambitieux de la crypto-économie » :
Proposition 1 : Adopter rapidement les décrets d’application des ordonnances n° 2016-520 relative aux bons de caisse et n° 2017-1674 relative à l’utilisation de la blockchain pour la représentation et la transmission de titres financiers qui permettent aux minibons d’être émis et cédés au moyen de la blockchain.
Proposition 2 : Réglementer les crypto-actifs de manière suffisamment souple, sans les cloisonner à des définitions juridiques existantes. Une diversité d’approche semble la voie à privilégier, s’agissant d’actifs aux objectifs, aux modes d’émission et aux utilités très différentes.
Proposition 3 (fait en 2018) : Retenir le taux d’imposition des revenus de capitaux mobiliers, gains et profits assimilés de 30 % pour l’imposition des plus-values en cryptoactifs.
Proposition 4 : Clarifier la notion d’activité à titre « habituel » dans la doctrine administrative fiscale.
Proposition 5 : Imposer les personnes réalisant des opérations en crypto-actifs à titre habituel selon le même régime que les personnes réalisant une activité de minage.
Proposition 6 : Définir le rapatriement sur un compte bancaire comme fait générateur de l’impôt sur la plus-value en crypto-actifs.
Proposition 7 : Élever l’abattement annuel sur opérations de cessions en cryptoactifs de 305 euros à 3 000 euros.
Proposition 8 : Permettre un report d’imposition des plus-values en crypto-actifs dans le cadre d’un apport de crypto-actifs à une société.
Proposition 9 : Dans le cadre d’une ICO, définir la date d’exigibilité de la TVA collectée au moment de la fourniture du service ou de la livraison du bien en contrepartie de la vente du jeton.
Proposition 10 : Aligner le régime fiscal applicable aux attributions de jetons gratuits sur le régime applicable aux attributions d’actions gratuites.
Proposition 11 : Exclure les pertes liées à la dépréciation des crypto-actifs des charges fiscalement déductibles pour les jeunes entreprises innovantes (JEI).
Proposition 12 : Instaurer de manière législative l’exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) pour les centres de minage en crypto-actifs.
Proposition 13 : Inclure une interprétation dans le BOFiP, précisant que la validation d’une transaction en crypto-actifs ne constitue pas un service soumis à la TVA tout en tenant compte du droit à la déduction de la TVA pour les sociétés de minage.
Proposition 14 : Veiller à un droit au compte effectif pour toutes les entreprises de la blockchain – y compris celles n’ayant pas vocation à solliciter un visa auprès de l’AMF – par la définition de règles objectives, reconnues par l’ensemble des acteurs (institutionnels, bancaires, privés).
Proposition 15 : En cas de difficulté persistante d’accès à des services de dépôts E et de paiement, la start-up pourrait faire appel en dernier ressort à la Caisse des dépôts et consignations et solliciter auprès d’elle, lesdits services.
Proposition 16 : Les autorités de régulation – notamment l’ACPR – édictent des recommandations à l’attention des établissements bancaires afin de les guider dans l’instruction du dossier d’une entreprise blockchain.
Proposition 17 (encadrement des ICO) : Préciser le white paper en donnant des garanties aux investisseurs et au secteur institutionnel sans brider le développement des initiatives entrepreneuriales en :
– précisant les informations à fournir à l’AMF dans le cadre de la sollicitation d’un agrément ;
– encadrant la relation contractuelle ;
– renforçant le suivi des opérations d’ICO ;
– encadrant la communication afin de protéger les investisseurs.
Proposition 18 (encadrement des ICO) : Imposer que les offres réalisées sans le label contiennent un avertissement indiquant qu’elles n’ont pas reçu de visa et que l’opération présente des risques financiers.
Proposition 19 (encadrement des ICO) : Permettre d’obtenir, a posteriori, le label AMF pour les ICO dont les jetons ont été émis avant la promulgation de la loi en respectant le cahier des charges.
Proposition 20 (encadrement des ICO) : un délai d’instruction des dossiers de demande de visa Fixer optionnel.
Proposition 21 (encadrement des ICO) : Instaurer une étude technique ou scientifique de la réalité du projet adossé à l’offre au public de jetons.
Proposition 22 (encadrement des ICO) : Envisager un aménagement de la directive « Prospectus » pour les start-up, afin de prendre en considération des paramètres tels que la taille et les revenus de l’entreprise.
Proposition 23 (fait en 2018) : Mettre en place un visa optionnel différencié par type d’activité pour les prestataires de services en crypto-actifs.
Proposition 24 : Clarifier au sein du décret prévu par la loi Pacte, qui précisera la définition des services sur actifs numériques, que les services de conservation excluent les de solutions de fournisseurs self-custody.
Proposition 25 : Adapter notre système et nos cursus scolaires afin de former les talents et entrepreneurs de demain, mais aussi développer des parcours de formation continue et interdisciplinaires sur la blockchain afin d’accompagner aux mieux les salariés d’entreprises dans cette transformation digitale.
Proposition 26 : Créer une association de place nationale.
Proposition 27 : Ériger la blockchain en filière prioritaire bénéficiant du fonds de l’innovation et de l’industrie aux côtés de l’intelligence artificielle, du véhicule autonome, de la bio-production et de la nanoélectronique.
Source : Rapport d’information de la mission d’information relative aux monnaies virtuelles
[1] « La France n’a pas à être une crypto-nation, selon un terme employé à plusieurs reprises dans le rapport […].
Lorsqu’il [le rapporteur] propose non seulement de ne pas limiter l’investissement en crypto-actifs des acteurs régulés mais également d’exonérer les achats en crypto-actifs de toute fiscalité, dans une limite de 3 000 euros par an, cela reviendrait à en faire un système de paiements parallèle, possédant des avantages indus. Il ne semble pas non plus nécessaire, comme le suggère le rapport, de garantir un droit au compte à tout entrepreneur en crypto-actifs, y compris à ceux qui n’ont pas reçu de visa de l’AMF, et encore moins à demander à des institutions financières publiques, type Caisse des dépôts et consignations, de garantir l’ouverture de comptes à ces entrepreneurs, ce qui transférerait le risque financier qu’ils courent vers la collectivité nationale. On ne peut pas plaider la liberté et la non-régulation d’un côté et en appeler de l’autre à la garantie sociale sur des activités lucratives privées. Dès lors, si le rapport propose une réflexion et des solutions pertinentes concernant la régulation des crypto-actifs lorsqu’ils s’apparentent à des titres financiers, il semble que la réflexion doive se poursuivre concernant les crypto-actifs qui prétendent acquérir le statut de monnaie, avec toutes les problématiques que cela implique […] ».
Quant au rôle joué par les crypto-actifs sur l’ensemble de l’architecture du système de paiements, leur grande diversité et leur volatilité ne paraissent pas en mesure de contribuer à une stabilisation du système. Ils pourraient, au contraire, faire peser un risque non négligeable sur le système financier, que le rapport peut tendre à minimiser. Une proposition avait ainsi été discutée de proposer une muraille étanche entre les institutions financières et monétaires et les crypto-actifs, par exemple en instaurant une obligation de 100 % de fonds propres pour les investissements des acteurs financiers régulés en crypto-actifs. Cette option n’a pas été retenue par le rapporteur […].
Je ne partage pas non plus la proposition du rapporteur d’attirer les centres de minage en France en les considérant comme des entreprises électro-intensives. L’exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) qui concerne ces dernières a été pensée pour conduire la transition écologique sans pénaliser trop fortement l’emploi dans des industries fragilisées. Elle n’a absolument pas pour vocation d’attirer ici de multiples fermes de minage, très consommatrices en énergie (la consommation énergétique de l’Islande a doublé depuis l’arrivée sur son sol de ces « mineurs »). Certains vont d’ailleurs aujourd’hui s’implanter en Ukraine ou dans d’autres pays dans lequel la production électrique repose essentiellement sur le charbon, entraînant ainsi un impact climatique non négligeable bien que non mesurable avec précision […].
Il aurait également été opportun de proposer l’interdiction de la diffusion et du commerce de crypto-actifs visant à garantir un anonymat complet en empêchant, par leur conception, toute procédure d’identification. » – Eric Woerth.