Baisse de rentabilité du minage, 2 millions d’Asics stoppés ? C’est grave ?

26
6960

Jeudi, le Journal du Coin évoquait une baisse du Hashrate et l’arrêt de 10 000 machines. Il s’avère que ce phénomène existe bien, mais qu’il est immensément plus large ; il s’agit d’une baisse sans précédent du hashrate BTC, un événement non identifié, une première dans l’histoire de Bitcoin.

Le hashrate est monté en flèche jusqu’au 1er novembre, son pic historique, 60 M de TH/s. Mais Aujourd’hui, c’est 38 millions de terahash/s qui sont visibles, soit 22 millions de moins, et contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, cette puissance perdue ne se retrouve pas (ou si peu) sur les réseaux BCH. Cela équivaudrait à 1,83 millions de machines mises à l’arrêt en 19 jours, en estimant que chaque machine fait 12TH/s. Une hécatombe !

C’est énorme, et pourtant ce chiffre est en dessous de la réalité : depuis le 7 septembre, la plupart des mines ont atteint un coût de production supérieur au prix du BTC. Evidemment, nous, en France, comme nos amis suisses, italiens, allemands, anglais ou hollandais avons dû mettre les machines sur pause, on peut estimer à plus de 150 000 le nombre d’Asics BTC mis sur off en septembre-octobre.

Cependant, ça ne s’est pas vu, on n’a pas assisté à une baisse du H parce que dans le même temps continuaient à se créer de nouvelles fermes, commandées parfois 6 mois auparavant. Ainsi, Etix, constructeur traditionnel de data centers, a ouvert fin septembre deux magnifiques fermes en Islande, d’autres ont continué à se créer ou s’étendre partout où le kW était bon marché, notamment en Amérique (sud et nord) et en Asie centrale. Donc, pendant que des pays entiers voyaient leur mining s’éteindre, d’autres devenaient des acteurs de premier plan de l’activité. On assiste là à un phénomène nouveau, une redistribution des cartes que nous évoquons depuis plusieurs mois et qui est désormais visible dans cette forte baisse du hashrate ; Gigawatt, aux states, a effectivement raccroché les gants, mais ce mouvement est beaucoup plus large : d’autres en Norvège, en Suède ou même dans la province de Sichuan (Chine), considérée comme un pôle mondial majeur du mining, sont désormais à l’arrêt. Donc, entre septembre et aujourd’hui, c’est près de 2 millions de machines qui ont cessé de sécuriser le réseau, pas quelques dizaines de milliers. On va assister à une baisse de la difficulté dans 8 jours qui devrait être sans précédent. Cela permettra à certains de redémarrer, d’autres auront fait le choix de déplacer leurs matériels dans des lieux moins onéreux. C’est essentiellement cet arbitrage des mineurs qui ont stoppé leurs exploitations qui va déterminer si le hashrate va remonter sous 10 jours ou à beaucoup plus long terme.

 

Conséquences

Sur la sécurité : On peut penser qu’un tel mouvement fragilise le réseau ; dans un sens, c’est vrai, mais la puissance totale du H était telle (60M de TH/s) qu’elle était devenue disproportionnée. Il demeure quasi impossible de réunir 50% du hash, et la redistribution géographique du jeu confirme cet état de fait : quand la plupart de ses mineurs sont en recherche de lieux d’exploitation plus profitables, la Chine est moins que jamais en position de réaliser une attaque Goldfinger, donc cette baisse de puissance peut être un mal pour un bien.

Sur la consommation électrique globale du réseau, cette baisse a un impact important, on espère vivement que l’on ne va pas assister à un violent refroidissement climatique ; plus sérieusement, l’impact est négatif pour bien des compagnies productrices qui avaient trouvé en Bitcoin un talon de consommation qui leur était devenu fort utile. On s’attend de fait à de possibles augmentations des prix dans certaines régions du monde, au gel de certains projets solaires ou éoliens et à une baisse des revenus impactant la R&D. Dans d’autres régions au contraire, où l’on avait trop attribué de MW aux mineurs, cela permettra de détendre la production et cela pourrait avoir un impact positif sur les prix. On va peut-être enfin réaliser que le mining, loin d’être une catastrophe écologique, peut être un puissant moteur de la transition énergétique, mais aussi un vecteur d’ajustement de l’offre et de la demande.

Sur le marché mondial du mining : cette redistribution des cartes, que chez Bigblock nous présentons depuis septembre comme une chance pour la France et son mix énergétique (à saisir ou non par des autorités qui ne s’y intéressent que de très loin), est en tous cas une opportunité nouvelle pour les régions disposant en quantité d’électricité très bon marché, souvent celles dont l’économie ne peut absorber la capacité de production. Le mining mondial s’offre à elles.

Ainsi, nous qui nous développons en Asie centrale avec l’idée d’offrir une porte de sortie profitable à nos collègues européens (en créant au passage le premier pool significatif de mining français) sommes paradoxalement sollicités depuis une semaine par d’importants acteurs du mining Chinois ou Américains, à l’arrêt et attirés par notre kW/h à 2 cts.

Pour les mineurs, la situation, anxiogène, n’est donc pas forcément catastrophique : les mines se déplacent sur des sites comme les nôtres ou, au pire revendent leurs machines aux confrères.

Pour les fabricants d’Asics en revanche, il y a fort à parier que tant que le cours n’aura pas permis le redéploiement de toute la puissance disponible ils auront des soucis à se faire. Car contrairement à ce que l’on voit sur Youtube, les mineurs ne jettent pas les S9 ou les T9 par brouettes, même s’ils sont ponctuellement, localement, devenus non-rentables. Le S15 de Bitmain n’est pas prêt d’être un succès commercial.

Sur le cours du bitcoin : il est possible que la brusque baisse du 14 novembre ait été ensuite amplifiée par une augmentation du nombre de jetons vendus par les mineurs pour payer leur électricité. A terme, si le H ne baissait pas malgré cette chute du cours, l’offre en BTC finirait par augmenter mécaniquement, pouvant conduire à une spirale baissière.

La logique économique de la PoW apparait plus que jamais dans ces moments historiques comme parfaite et implacable : le hashrate devait baisser, il finit par le faire ; les cartes trop chinoises devaient être rebattues, on y est. Maintenant, il s’agit d’une guerre d’alliances que se livrent les mineurs, le temps de la conquête du marché par la recrudescence d’achats de puissance est pour l’instant révolu. Jusqu’à la prochaine fois…

 


A propos de l’auteur

Sébastien Gouspillou est cofondateur et Président de BigBlock Datacenter, société nantaise qui conçoit et gère à travers le monde des unités dédiées au « minage » de cryptomonnaies, notamment de bitcoins.