Jacques Favier, cofondateur du Cercle du Coin et coauteur de Bitcoin, la monnaie acéphale a témoigné mercredi devant la « Mission d’information sur les monnaies virtuelles« présidée par Eric Woerth et rapportée par Pierre Person. Il a accepté de revenir sur ce moment qui, hélas, n’a pas pu être filmé : « La table ronde du 9 mai à laquelle je participais n’a pu être enregistrée, apparemment parce qu’il n’y a qu’une salle qui permette cela et qu’elle était déjà occupée. Cette blessure narcissique cicatrisée, je dois dire que la rencontre a été plutôt intéressante.
Le rapporteur, Monsieur Person, a commencé par me remercier de ce que je lui avais envoyé une réponse complète aux 13 questions qu’ils nous avaient soumises comme cadre général de nos réflexions.
Ayant ainsi balayé le terrain j’ai pu faire une première déclaration (la seule chose que j’ai pu enregistrer) en me concentrant sur ce qui me tenait à cœur :
– On ne peut en rester à l’état de droit incertain créé par le Conseil d’Etat
– Les autorités doivent abandonner l’idée de raisonner de façon “souveraine” mais se demander quels services ils peuvent offrir à la cryptosphère pour mériter le droit de taxer
– Les échanges décentralisés n’offrent pas de position centrale ou éminente à un pays comme le nôtre, mais peuvent susciter une vocation “portuaire”, métaphore que j’ai développée avec un certain succès
– Et à cette condition, une fiscalité intelligente pourrait se justifier, non pas pour toutes les cryptomonnaies à la fois et dans tous les usages à la fois. D’où ma comparaison avec l’or qui n’est pas taxé de la même façon dans la mine, dans une dent, dans un bijou, dans une pièce, dans un ETF. Et qui, en matière d’or d’investissement est taxé à 11,5%.
Pour les autres interlocuteurs, les deux avocats se sont montrés, évidemment, très techniciens. Maître Arnaud Grünthaler m’a semblé insister sur tout ce qui découlerait de la qualification d’utility des tokens, et a largement focalisé son propos sur les sujets relatifs aux ICO, dont Ken Timsit a noté ensuite qu’ils n’étaient cependant qu’un use case marginal des crypto-actifs. Maître Axel Sabban a eu un discours plus axé sur la fiscalité, et plutôt différent du mien (souhaitant une définition et un cadre général) ce que le rapporteur a souligné, mais un rapide tour de table sur ce sujet est plutôt allé dans le sens d’une approche différenciée, Ken Timsit notamment demandant “une taxation différente selon les usages”.
Quant à l’exposé de Laurent Bénichou, il a d’abord rappelé que les cryptoactifs apportaient des bénéfices importants sur lesquels la France doit s’appuyer et notamment un nouveau canal et démocratisation du venture capital pour le développement de nouvelles entreprises, une capacité pour le citoyen d’augmentation de son pouvoir d’achat par la monétisation de ses ressources excédentaires, la capacité plus généralement de coder des conditions à un paiement, et de déclencher des paiements avec de la donnée. Pour lui, les cryptoactifs et entreprises du monde blockchain n’ont pas besoin de beaucoup plus de la part de l’Etat qu’une confirmation de leur capacité à exister. Mais en ce qui concerne les cryptomonnaies, la France a besoin d’un statut qui les définisse et de légaliser les cryptomonnaies comme monnaies complémentaires (le cadre juridique des « equity tokens » semblant déjà en place).
Il a également rappelé que l’aspect distribué de ces monnaies rend toute contrainte règlementaire contournable par les utilisateurs de cryptomonnaie. Vouloir trop exiger peut conduire à l’évaporation des actifs. Sur la taxation des cryptomonnaies, lui aussi a répété qu’il faut distinguer selon les usages, mais que pour le paiement d’un bien ou service en cryptomonnaie, il ne saurait y avoir de taxation. De la même façon qu’un américain en vacances à Paris ne paye pas de taxe sur la plus-value de ses dollars (entre le moment où il les a acquis et le moment où il les dépense) avant de payer quelques euros pour monter visiter la Tour Eiffel, l’individu qui paye un billet d’avion en bitcoin ne doit pas être taxé sur la plus-value. Enfin il a affirmé qu’on ne peut envisager de taxation pour l’émetteur de cryptomonnaie voulant changer post-ICO ses bitcoins contre de l’euro. C’est une opération de change classique pour financer ses opérations en monnaie utilisable (en l’occurrence l’euro).
Voici maintenant, après échange et concertation avec Laurent Bénichou ce que nous avons ressenti tous les deux :
– une vraie écoute et une vraie volonté de comprendre le sujet. Pierre Person avait posé la Monnaie Acéphale sur le bureau, et ses questions étaient toutes pertinentes.
– nos hôtes recherchaient des réponses et des propositions concrètes plutôt qu’un exposé de problèmes. Ainsi ils nous ont demandé ce qu’étaient les bénéfices qu’apporte la Suisse et que n’apporte pas la France. Ils ne semblent cependant, qu’à moitié conscients du problème que pose l’attitude des banques françaises.
– Ils ont aimé les exemples concrets, qui permettent de mieux comprendre le contexte et les problèmes de la communauté :
◦ Quand Laurent a parlé de son achat de billet d’avion en bitcoin et son impossibilité de déclarer une plus-value à chaque achat en bitcoin ;
◦ Quand j’ai reprenant la comparaison avec l’or et me suis laissé allé à dire que si l’on retirait la dent en or de Mamie, on allait pas taxer une plus value sur l’or.
– Malgré un petit flottement sur son mode de fonctionnement, ma proposition consistant à aligner la fiscalité sur les investissements en monnaie cryptographique sur celle des métaux précieux (soit une flat tax de 11% ad valorem + 0,5% CRDS) a peut-être été jugée pertinente et pratique. »