La Banque Centrale Européenne (BCE) vient de publier un rapport [PDF] relativement détaillé sur les « monnaies virtuelles », dont une bonne partie est spécifiquement consacrée à Bitcoin. L’institution apporte à celle-ci une incontestable crédibilité, même si le ton adopté traduit plus l’inquiétude que l’enthousiasme (ce qui ne surprendra personne).
Il faut tout de même reconnaître une certaine objectivité à cette étude, par ailleurs très pédagogique quant à sa description des principes de Bitcoin (jusqu’à ses fondements économiques). En particulier, la BCE admet l’intérêt de cette « monnaie virtuelle » pour stimuler l’innovation et favoriser l’émergence de nouveaux modes de paiement pour les consommateurs. Elle est évidemment prompte à souligner les risques inhérents à ce système monétaire fonctionnant en dehors de tout contrôle central, sans lien avec l’économie réelle si ce n’est à travers les « commerçants » qui l’acceptent.
Mais, en dehors de toute considération « politique », le rapport met aussi l’accent sur les préoccupations concrètes du régulateur : les dangers d’une adoption par des consommateurs qui n’en comprennent pas les mécanismes (complexes), la liquidité réduite du marché (qui peut engendrer des variations erratiques de cours de change), l’absence de tout cadre réglementaire…
A ce stade, la BCE considère que le caractère confidentiel de Bitcoin permet d’écarter la possibilité qu’il représente une menace pour les équilibres monétaires. Cependant, en filigrane, on perçoit nettement qu’une perspective de généralisation de son utilisation est prise au sérieux et la recommandation aux banques centrales est clairement de surveiller l’évolution du marché et de se préparer à intervenir, au besoin.
En parallèle, une jeune pousse française, Paymium, a justement l’ambition de démocratiser l’utilisation de Bitcoin et sa récente annonce (via sa plate-forme Bitcoin-central) d’un partenariat avec le PSP (« Payment Service Provider » – fournisseur de services de paiement) Aqoba représente un pas important dans cette direction.
A travers cette opération, l’idée de Paymium est de proposer aux consommateurs un classique compte prépayé, qui peut être accompagné d’une carte de débit et qui pourra aussi prochainement se voir attribuer un IBAN (identifiant international de compte bancaire). La particularité de cette implémentation est, si j’ai bien compris, qu’un compte Bitcoin y est également associé.
Dès lors, les échanges d’argent entre détenteurs de compte Paymium sont réalisés avec la monnaie virtuelle, sans passer par les (coûteux) réseaux de paiement traditionnels. Pour l’utilisateur lambda, le processus est transparent car la startup se charge de réaliser les opérations de change si une des parties veut traiter la transaction en euros. Néanmoins, il est aussi possible de maintenir des fonds en Bitcoin et d’utiliser ceux-ci directement pour les paiements.
Avec ce mécanisme, Paymium peut donc largement favoriser le développement de Bitcoin, d’une part, en multipliant les échanges (ce qui favorise naturellement la liquidité du marché) et, d’autre part, en exposant ses clients à cette nouvelle monnaie (et à ses avantages), sans leur faire changer immédiatement leurs habitudes.
Enfin, il faut noter que Bitcoin n’est pas la seule monnaie virtuelle, même si elle représente actuellement la meilleure combinaison d’universalité (des usages), de popularité et de disruption. De nouveaux concepts sont en gestation, tels que Ripple, concocté par, entre autres, un fondateur du site de « P2P lending » Prosper.
Poussant d’un cran la logique « P2P » (« peer to peer« ) de Bitcoin, Ripple deviendrait une sorte de monnaie sociale, fonctionnant par des échanges de dettes. Son principe repose sur la confiance entre participants : chacun d’eux attribue un montant maximal de crédit qu’il accorderait à ses connaissances. Lorsqu’un paiement doit être réalisé entre 2 personnes, le système établit une chaîne de « prêts » entre eux, via leurs relations respectives, qui permet d’équilibrer leurs comptes.
Bien entendu, le système est encore du domaine expérimental. Mais il démontre bien les multiples possibilités ouvertes par les technologies. Et Ripple est aussi particulièrement notable parce qu’au-delà des seuls échanges d’argent, il ouvre également la porte à une nouvelle approche du crédit.
Ce constat résume d’ailleurs parfaitement la cible commune à ces différents modèles : ils visent très directement à substituer des mécanismes inédits aux fonctions habituellement assurées par les banques. La menace sur ces dernières n’est certainement pas imminente ni de grande ampleur et l’heure n’est pas venue où tout un chacun aura un porte-monnaie rempli de bitcoins, mais il ne fait aucun doute qu’une (petite) partie de leurs activités sera progressivement grignotée par de tels acteurs.
Source : http://cestpasmonidee.blogspot.fr – Patrice BERNARD